Activités littéraires de Simone Gougeaud-Arnaudeau

La Bièvre

Histoire d'une rivière d'Ile-de-France

Pourquoi ce petit affluent de la Seine m’intéresse-t-il soudain ? Une rivière disparue depuis 1891 dont je puis suivre en partie le cours symbolique dans ma rue au pied de (sous ?) mon immeuble et au parc Kellermann dans le XIIIe arrondissement de Paris ; or j’apprends qu’il est question de l’y faire réapparaître. Je m’informe et découvre qu’en fait certaines communes ont fait des travaux depuis quelques années et qu’on peut la voir, notamment à Arcueil.

Allons-y voir : ce n’est pas spectaculaire, mais c’est intéressant. Retour de la biodiversité au cœur de la ville ! Si une hirondelle ne fait pas le printemps, que peut faire une libellule ?

Voici le diaporama (avec le concours de YALA PHOTO) …

Quelle histoire !

Approfondissons les recherches. Pour ce, j’ai recours à Gallica et je tombe sur un ouvrage qui date de 1886 : La Bièvre : nouvelles recherches historiques sur cette rivière et ses affluents depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours par S. Dupain.

Traditionnellement, teintureries, tanneries et autres établissements étaient installés sur les rives de la Bièvre (et de l’Yvette) qui, accessoirement servait d’égout aux riverains. L’eau du ruisseau des Gobelins (c’est ainsi qu’on la nommait) était réputée excellente pour le traitement des peaux et les teintures. Une légende avait couru selon laquelle l’urine des buveurs de vin contribuait grandement à la qualité des eaux. Au point que certains condamnés à mort préféraient s’engager à boire des litres et des litres de vin plutôt que de se faire trancher la tête… Mais vint quand même le souci hygiéniste, jusqu’à cette fameuse année où le baron Haussmann soucieux de l’embellissement de Paris fit enterrer la rivière.

Rappelons que depuis la construction du château de Versailles sous Louis XIII et son achèvement pour la gloire de Louis XIV, c’est l’eau de la Bièvre (dérivée dans des étangs puis acheminées par des canaux) qui subvenait à tous les besoins du château et de Versailles. Il devenait aussi nécessaire de donner aux Parisiens des eaux plus abondantes que celles qui leur étaient distribuées par les machines du pont Notre-Dame et de la Samaritaine. De nombreux projets virent le jour, à chaque fois jugés trop onéreux.

Que se passa-t-il à la fin du XVIIIe siècle ? Un sieur du Fer de la Nouerre, ancien capitaine d’artillerie se faisait fort d’améliorer le dernier en date en substituant une rigole en terre à l’aqueduc en maçonnerie prévu ; on trouva des actionnaires pour contribuer aux dépenses. Mais plusieurs plaintes de riverains s’élevèrent.

Extrait du livre de S. Dupain

{…} Les riverains se plaignaient, en outre, de voies de fait exercées par les agents subalternes du concessionnaire. Après une enquête très minutieuse opérée par les officiers des Eaux et Forêts, depuis Amblainvilliers jusqu’à Antony, et dont le procès-verbal a été imprimé, le parlement, déjà en lutte avec le Pouvoir et qui n’était pas fâché d’affirmer son indépendance ou plutôt sa suprématie, prit, par deux arrêts en date des 3 dé cembre 1788 et 7 février 1789, les réclamants sous sa sauve garde et fit défense au sieur de Fer et à ses ouvriers de continuer les travaux, à peine de prison. Le Gouvernement crut voir dans ces actes une atteinte portée à l’autorité souveraine et la nullité en fut prononcée par un arrêt du Conseil du 14 février 1789.

L’intendant de la généralité de Paris reçut, de nouveau, la mission d’instruire les litiges et de les juger en dernier ressort.

Cependant, les oppositions n’en devinrent ni moins nombreuses ni moins vives, surtout de la part des industriels établis le long de la Bièvre, qui se regardaient comme propriétaires des eaux qu’elle débitait. Ils évaluaient à plus de vingt millions les dommages que leur causerait la dérivation projetée, sans compter qu’elle serait la ruine d’une quantité considérable de familles. Enfin, le sieur de Fer n’était à leurs yeux qu’un spéculateur avide et débouté qui cherchait uniquement à s’enrichir à leur détriment

{…}

 

Nous ne mentionnerons donc, que pour mémoire, un long factum dans lequel, dès l’année 1790, le sieur de Fer avait cherché à justifier sa conduite et traité de mal fondées les objections faites à son projet ; uneproposition par lui soumise ultérieurement à la Ville, pour qu’elle se substituât en son lieu et place et se rendît propriétaire du canal, à de certaines conditions ; un rapport favorable présenté, sur cette proposition,au corps municipal, le 8 mai 1791, par le lieutenant du maire ; un autre rapport fait au procureur de la Commune, le 2 juin 1793, et par lequel les administrateurs du département des domaines et finances de la Municipalité regardaient le projet du canal comme ruineux pour les habitants du faubourg St-Marcel ; enfin, un arrêté, du 25 juillet 1793, chargeant les citoyens Monge, Bertholet et Hassenfratz de faire connaître la situation de l’entreprise et les avantages ainsi que les inconvénients qu’elle pouvait offrir. La dérivation de la Bièvre a été, une troisième fois, l’objet d’une étude faite, en 1802, par M. Bruyère, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui proposait aussi de conduire cette rivière dans l’aqueduc d’Arcueil, en même temps qu’il aurait fait venir la Beuvrone près de la barrière de Pantin. Nous ne dirons rien de cet autre projet, attendu qu’il a été abandonné presque aussitôt que conçu.

Au bord de la Bièvre

, et je devinais qu'il ya avit à faire un poème burlesque, plein d'attrait avec un combat de rats et de grenouilles.  

Je me souviens aussi que tous les ans, aux vacances, je construisais une petite galiote en carton, je la bourrais de friandises et de fleurs, et je la livrais tout joyeux et tout haletant aux caprices de l'eau de la Bièvre. Pourquoi? Je n'en sais rien. Les habitants des îles Maldives lancent tous les ans un petit vaisseau chargé de parfums, de gomme et de fleurs, comme une offrande à la mer. Je faisais peut-être mon offrande à la Bièvre. Les enfants sont aussi superstitieux que les sauvages. Je me souviens encore que, toujours sur les bords de cette affreuse rivière que j'aime tant, il y avait un grand chantier qui aboutissait là d'un côté et de l'autre à tière Sainte-Catherine, qui est aujourd'hui l'amphithéâtre de Clamart. Ce grand chantier était, à l'époque dont je parle, complètement abandonné, chose rare aans une ville où il n'y a pas un pouce de terrain inoccupé, où l'on plante des maisons lorsqu'on devrait planter des arbres, et surtout dans un quartier industriel où l'usine et les métiers ont besoin de toutes les places disponibles, et même de celles qui ne le sont pas.
 

Quoi qu'il en soit, à cette époque, ce vaste chantier était complètement abandonné. L'herbe y croissait, épaisse et drue
en beaucoup d'endroits, rare et pelée en beaucoup d'autres où broutaient deux ou trois chèvres. Parmi ces herbes, tapis charmants pour le ébats printanniers, plancher facile aux rom s enfantines, croissaient en abondance toutes ces plantes parasites qui poussent n'importe où et entre n'importe quoi, la folle avoine, la bardane, les
chardons et la laitue que les anciens appelaient la viande des morts, parce qu'elle croît en effet très-volontiers dans les cimetières.
L'été, c'était un endroit charmant, à peine clos, où, pendant le jour, venaient s'ébattre comme des moineaux-francs, des nuées de gamins tapageurs, et où l'on voyait « Bien des couples rêveurs qui le soir, à la brune,  Se baisaient sur la bouche en regardant la lune". » II y a peut-être des gens qui s'imaginent qu'on ne sait pas aimer, pas être jeune,pas être beau dans ce plébéien quartier Saint-Marceau : L'ubi amor, la patrie des coeurs est partout, sous toutes les zones, sous toutes les latitudes, sous tous les costumes. Le pays où l'on s'aime pour recueillir des enfants, ce pays adoré est tout coin de terre où il y a un brin de soleil, un brin de verdure, un brin de jeunesse et un brin de beauté.La chanson de Mignon est d'une mélancolie et d'une poésie touchantes « Connais-tu la terre où les citronniers fleurissent Kellnst du das Land wo die
citronen bluhe
n ? où, dans leur sombre feuillage, mûrissent les oranges dorées? »
 

Eh bien! cette chanson de Mignon se chante en français, en parisien, avec un accent faubourien même, sur les bords de
la Bièvre.  Seulement il n'y est plus question de citronniers ni d'oranges. Les amoureux qui la chantent parlent du pays empourpré, radieux, plein de promesses, où ils veulent aller et ils y vont…  Il est donc naturel qu'une fois de retour de ce pays des rêves-  et réalités -, ils le regrettent, comme Mignon ; et y aspirent
de nouveau, comme elle.
Je te raconterai tout à l'heure mes premières amours avec une petite ouvrière de la filature des Cent -Filles, amours chastes innocentes et éphémères qui n'ont laissé dans mon cœur d'autre trace que celle laissée par certains parfums précieux au fond du vase qui les a contenus, même durant l'espace d'un éclair. On peut briser mon cœur en mille morceaux, c'est aux trois quarts fait, puisqu'il est fèlé, chacun de ses morceaux sentira encore l'amour, liqueur divine, que le ciel y a versée il y a seize ans!
Je n'en ai pas encore fini avec les puérilités de ce qu'on est convenu d'appeler le golden age, un âge dont je voudrais
bien avoir la monnaie aujourd'hui. Je n'en ai pas encore fini avec lui, et je ne m'en plains pas. Ces souvenirs-là, ridicules et
ennuyeux pour les autres, me refont une jeunesse de quelques heures, me repeuplent la bouche de ses dents blanches.

Au bord de la Bièvre : Impressions et souvenirs, Alfred Delvau (1825-1867)

Une estampe de Watteau

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Date de dernière mise à jour : 25/06/2025