Madame Helvétius (1722-1800)

Une femme au temps des Lumières

 

Extrait de la préface

[...] Anne-Catherine de Ligniville (Épouse de… ) n’échappe pas au lot commun des filles de l’aristocratie. Elle conquiert son indépendance et sa notoriété par le mariage. Surnommée Minette, elle finira comme « Notre-Dame d’Auteuil », après avoir survécu trente années à son mari, Claude-Adrien Helvétius. Elle aura occupé une place éminente auprès du philosophe dont on ne saurait étudier l’œuvre et la vie sans parler d’elle. Elle est de ces femmes brillantes (certains la disent inculte) qui ne se sont pas contentées de donner des enfants et le bonheur en ménage à un époux. C’est la raison pour laquelle elle a éveillé notre intérêt, un intérêt grandissant à la lecture de l’un de ces écrits qui permettent de retrouver les mœurs, les façons de penser, les passions littéraires et politiques du XVIIIème siècle : la Correspondance de sa tante, Françoise de Graffigny. D’une certaine manière, cette grande dame a été sa gouvernante, son institutrice qui, par affection, a donné l’anagramme de « nièce » au titre de l’une de ses meilleures pièces : Cénie, parue en 1750, alors que le public commençait à se passionner pour un nouveau genre théâtral, la comédie dite larmoyante.

 

 

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Un livre en trois parties

La première partie évoque la vie de Mademoiselle de Ligniville chez Madame de Graffigny jusqu’à son mariage qui suscita bien des commentaires : un mariage d’amour vrai, rare chez les aristocrates. La deuxième transporte le lecteur sur les terres de Voré où Helvétius et sa femme furent des châtelains exemplaires. Et la troisième est dédiée à celle que Benjamin Franklin surnomma Notre-Dame d’Auteuil.

Couv helvetius

Portraits

Madame Helvétius en robe d'apparat sur la couverture de notre ouvrage est une image libre de droits. Un autre portrait emprunté à un livre de 1911 : Helvétius, choix de textes et introd. par J.-B. Séverac, Paris, L. Michaud, nous la montre dans son naturel avec un fin sourire. La miniature a appartenu à A. Dutens, décédé en 1917. Le second portrait la présente dans la force de l'âge

Madame helvetius

Au château de Voré

Dans une monographie éditée en 1880, intitulée Une excursion au château de Voré, Helvétius, seigneur de Rémalard, on apprend que la conception de la bienfaisance du seigneur du lieu ne résidait pas seulement dans des actes de charité ponctuels, notamment en versant une certaine somme aux pauvres qui habitaient les paroisses de son domaine, en distribuant les boites, composées par son père de médicaments assortis, mais dans la tentative de permettre aux pauvres d’améliorer leur situation par le travail. Ainsi, avec l’aide de sa femme, une manufacture de fabrication de la dentelle d’Alençon, qui ne fut pas une réussite. En 1764, il demande un privilège pour établir des forges afin d’utiliser le minerai de fer et le bois des seigneuries. Il s’agit de réduire la mendicité qui est l’un des fléaux de la société. Malheureusement, le châtelain rencontre l’opposition farouche des maîtres de forges déjà présents dans la région et doit abandonner ses projets. Pour ce qui est des terres, on comprend qu’il était bien difficile d’aller à l’encontre du système féodal. Restait le bonheur privé…

A découvrir dans le chapître : La vie de château, un bonheur compromis par l'affaire De l'Esprit, l'un des ouvrages les plus controversés du siècle.

Le chateau de vore

Grille voreSur  la grille en fer forgé, on distingue les lettres H (Helvétius) et A (Autricourt, la famille de son épouse) entrelacés.

La tombe de Madame Helvétius à Auteuil

Tombe mme helvetius

Document

[…] Laroche, Cabanis (1), Gallois lui ont fermé les yeux. M. Franklin la venait voir tous les jours. L'abbé Morellet passa, pendant dix ans, trois jours de la semaine chez elle. M. Turgot l'aima tendrement. Chamfort, un des hommes de ces derniers temps qui avaient le plus d'esprit, et de qui l'on cite le plus de mots heureux, prenait un plaisir extrême à sa conversation. Souvent elle jetait, au milieu de discussions profondes auxquelles elle ne semblait point prendre part, des exclamations, des mots d'âme qui déroutaient bien des sophismes, avisaient de bons principes, et servaient à bien poser la question.

Quoique bonne et ingénue, ou plutôt parce qu'elle était bonne et ingénue, Mme Helvétius disait quelquefois des choses  très piquantes. On pourrait dire d'elle mieux que de Boileau, non qu'elle fît, mais qu'elle "dît, sans malignité, d'assez grandes malices."

Elle a été la plus heureuse des femmes, parce qu'elle est celle qui a le plus aimé ; elle sentait son bonheur, elle le vantait sans cesse, et encore, quelques jours avant sa mort, en disant : Voilà mes amis.

Son dernier mot a été pour  Cabanis, qui baisait et pressait ses mains déjà froides, en l'appelant ma bonne mère. Elle répondit : Je le suis toujours […]

Mémoires du comte Roederer

(1) Le docteur Cabanis, médecin et philosophe, était lié avec les hommes les plus marquants de la Révolution, Mirabeau, Condorcet, Sieyès. Il participa au coup d'état de Brumaire et fit partie des cinquante députés choisis dans les deux chambres afin d élaborer un nouveau projet de constitution. Bonaparte, plus tard, le nomma sénateur. Il était son ami.

Recension dans "L'Ecrivain combattant" (n° 142)

L’autrice est spécialiste du XVIIIe siècle. Simone Gougeaud-Arnaudeau a écrit des ouvrages sur Crébillon, La Mettrie, le Président Hénault, le comte de Caylus et le chevalier de Bonnard. Ici, elle évoque la vie de la femme et veuve du philosophe Helvétius. Anne-Catherine de Ligniville devenue madame Helvétius fut surnommée Notre-Dame d’Auteuil car elle habita dans ce qui n’était alors qu’un charmant village aux portes de Paris. Elle y tint un fameux salon, que fréquentèrent les têtes pensantes : les révolutionnaires de la première heure parmi lesquels Condorcet et Cabanis et les membres de la loge des Neuf-Sœurs avec Benjamin Franklin. Sa maison était d’autant plus appréciée que son hôtesse aimait la voir remplie d’enfants, de chats et d’oiseaux. Le livre est court, mais vif et passionnant. Il nous fait découvrir un personnage attachant. Pour n’avoir rien écrit, Madame Helvétius eut une influence non négligeable sans tomber dans le travers de celles qu’on qualifiait de « femmes philosophes », quoiqu’elle fût l’épouse de l’un d’eux et non des moindres.

Alfred Gilder (septembre 2020)

Date de dernière mise à jour : 17/04/2024