Lettres de Madame du Deffand

à Horace Walpole, Paris, 1er avril 1769

Je fais mon affaire de vous entretenir de ce monde-ci (1). D’abord je vous dis qu’il est détestable, abominable, etc. Il y a quelques gens vertueux, du moins qui peuvent le paraître, tant qu’on n’attaque point leur passion dominante, qui est pour l’ordinaire, dans ces gens-là, l’amour de la gloire et de la réputation. Enivrés d’éloges, souvent ils paraissent modestes ; mais le soin qu’ils prennent pour les obtenir en décèle le motif, et laisse entrevoir la vanité et l’orgueil. Voilà le portrait des plus gens de bien. Dans les autres sont l’intérêt, l’envie, la jalousie, la cruauté, la méchanceté, la perfidie. Il n’y a pas une seule personne à qui on puisse confier ses peines, sans lui donner une maligne joie et sans s’avilir à ses yeux. Raconte-t-on ses plaisirs et ses succès ? On fait naître la haine. Faites-vous du bien ? La reconnaissance pèse, et l’on trouve des raisons pour s’en affranchir. Faites-vous quelques fautes ? Jamais elles ne s’effacent ; rien ne peut les réparer. Voyez-vous des gens d’esprit ? Ils ne seront occupés que d’eux-mêmes ; ils voudront vous éblouir, et ne se donneront pas la peine de vous éclairer. Avez-vous affaire à de petits esprits ? Ils sont embarrassés de leur rôle ; ils  vous auront mauvais gré de leur stérilité et de leur peu d’intelligence. Trouve-t-on, au défaut de l’esprit, des sentiments ? Aucuns, ni de sincères ni de constants. L’amitié est une chimère ; on ne reconnaît que l’amour ; et quel amour ! Mais en voilà assez, je ne veux pas porter plus loin mes réflexions ; elles sont le produit de l’insomnie ; j’avoue qu’un rêve vaudrait mieux.

(1) Auparavant elle a « disserté » sur l’au-delà.

Faites la connaissance de Madame du Deffand

Chapitre V de Le président Hénault ou les amours d'un magistrat mondain

HenaultSa vie illustre un destin de femme émancipée en un temps où "le sexe", selon le terme usité, "le beau sexe" sous une appellation plus flatteuse, le "deuxième" comme dira Simone de Beauvoir, était à peine considéré. En ce temps, les femmes, exclues de la sphère intellectuelle dont les hommes avaient le monopole, devaient tirer leur épingle du jeu par leur esprit et par la séduction. Comme beaucoup de dames de son rang, Madame du Deffand aima plus avec la tête qu'avec le cœur et la manière dont elle conduisit sa vie doit beaucoup à ses origines et à son éducation […]

Suivent dix pages biographiques, mais elle accompagne
Charles-François Hénault (dont elle fut la maîtresse), une bonne partie de l'ouvrage. Elle avait brillé à la cour de la duchesse du Maine ; son salon attira jusqu'à sa mort, l'élite intellectuelle du temps. En réalité, c'est  un amour non avoué qui la liait à Horace Walpole avec qui elle entretenait une étroite correspondance quand il n'était pas à Paris (chapitres VII et VIII).

Du deffand

Date de dernière mise à jour : 20/04/2024