Activités littéraires de Simone Gougeaud-Arnaudeau

Un nommé Chamfort

Sourire

 Chamfort (1741-1794) ou "Le bonheur n'est pas chose aisée."

Tel est le titre du livre dont les éditions l'Harmattan viennent d'accepter le manuscrit ! Encore quelques semaines pour annoncer le livre à paraître !

La quête du bonheur concerne tout un chacun. Lisons ce que Chamfort conseillait à un ami, en somme à lui-même…

Correspondance (lettre du 20 août 1765

Je crois assez connaître votre âme, mon cher ami, pour pouvoir vous donner des conseils utiles à votre bonheur. Garantissez-vous de tout sentiment vif et profond. J'ai remarqué que, toutes les fois que vous êtes vivement affecté de quelque chose, vous tombez dans un chagrin qui n'est point cette douce mélancolie, si délicieuse pour ceux qui l'éprouvent. De plus, les travaux rendent la gaîté nécessaire à votre santé.. Quand un sentiment profond vous rendrait heureux, du moins est-il certain qu'il ne vous délasserait pas, et vous avez besoin d'être délassé. Ne craignez pas de perdre par-là cette sensibilité nécessaire à l'homme de lettres ; vous en avez reçu une trop grande dose : rien ne peut l'épuiser. La lecture des excellents livres l'entretiendra davantage, sans exposer votre âme à ces secousses violentes qui l'accablent lorsque des nœuds qui nous étaient chers viennent à se briser. Ne donnez jamais à personne aucun droit sur vous. La raideur de votre caractère pouvant, par la suite, vous forcer à cesser de les voir, vous aurez l'air de l'ingratitude. Tenez tout le monde poliment à une grande distance. Prosternez-vous pour refuser. Je crois à l'amitié, je crois à l'amour. Cette idée est nécessaire à mon bonheur, mais je crois encore plus que la sagesse ordonne de renoncer à l'espérance de trouver une maîtresse et un ami, capables de remplir mon cœur. Je sais que ce que je vous dis fait frémir : mais telle est la dépravation humaine, telles sont les raisons que j'ai de mépriser les hommes, que je me crois tout-à-fait excusable. Si quelqu'un était naturellement ce que je vous conseille d'être, je le fuirais de tout mon cœur. Est-on privé de sensibilité, on inspire un sentiment qui ressemble à l'aversion. Est-on trop sensible, on est malheureux. Quel parti prendre ? Celui de réduire l'amour tout au plus à quelque préférence pour tel ou tel objet. Réduire l'amitié à un sentiment de bienveillance proportionné au mérite de chacun, c'est le parti que prit Fontenelle, qui avait toujours les jetons à la main. Vous êtes né honnête ; je suis sûr que vous ne pousserez pas cette défiance trop loin. Tout ceci se réduit à dire que votre âme ne doit jamais être inséparablement attachée à l'âme de personne ; qu'il faut apprécier tout le monde, et remplir tous les devoirs de l'honnête homme, et même de l'homme vertueux, d'après des idées justes et déterminées, plutôt que d'après des sentiments, qui, quoique plus délicieux, ont toujours quelque chose d'arbitraire. c'est par le travail seul que vous échapperez à l'activité de cett âme qui dévore tout..

 Le temps que vous emploierez chez vous sera pris sur celui que vous perdriez dans le monde, où vous vous amusez si peu, où vous portez le sentiment toujours pénible de la supériorité de votre âme et de l'infériorité de votre fortune, où vous trouvez des raisons de haïr et de mépriser les hommes, c'est-à-dire, de renforcer cette mélancolie à laquelle vous êtes déjà trop sujet, qui vous met souvent de mauvaise humeur, et qui vous expose quelquefois à vous faire des ennemis. La retraite assurera en même temps votre repos, c'est-à dire, votre bonheur, votre santé, votre gloire, votre fortune et votre considération. Vous aurez moins d'occasions de vous permettre ces plaisirs qui sans détruire la santé, affaiblissent, au moins, la vigueur du corps, donnent une sorte de malaise, et détruisent l'équilibre des passions. La considération de l'homme le plus célèbre tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer. Ayez toujours cette coquetterie décente qui n'est indigne de  personne. Votre gloire y gagnera aussi : l'emploi de votre temps augmentera nécessairement, et, par la même raison, votre fortune. Car, croyez-moi, ne comptez jamais que sur vous. Il y a encore une chose que je ne saurais trop vous recommander, et qui vous est plus difficile qu'à un autre, c'est l'économie. Je ne vous dis pas de mettre du prix à l'argent, mais de regarder l'économie comme un moyen d'être toujours indépendant des hommes, condition plus nécessaire qu'on ne croit, pour conserver son honnêteté.

"Caractères et anecdotes,  Paris, G.-F. Flammarion, 1968,  p. 336.

Commémoration

Plaque chamfort bisLouvois 6

Né au mois d'avril, Chamfort est mort au mois d'avril.

Nous sommes au 10 de la rue Chabanais,  près de la Bibliothèque nationale de France, rue Richelieu (dont Chamfort fut un temps le directeur,)

Il a refusé le "rasoir national" comme on nommait la guillotine !  (voir l'image du couperet  - le vrai, qui a servi… - sur notre page : Les écrivains et la police au XVIIIe siècle). Les biographes ignorent où Sébastien Roch Nicolas de Chamfort est enterré ; même le cimetière du web : Je suis mort, pourtant bien documenté, ne peut donner d'indication).

Chamfort n'a  pas connu le square Louvois, un havre de  paix aménagé au XIXe siècle, à  proximité de son dernier domicile.

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La prédiction de Cazotte

Vous souvenez-vous de ce fragment, de cette fiction d’une simplicité saisissante qui a gardé le nom de la prophétie de Cazotte? On est en 1788, chez un académicien grand seigneur, dans un repas entre gens de cour, gens de robe, dames du plus haut monde, écrivains, philosophes. La gaîté et l’esprit animent le festin. Chamfort fit des contes impies et libertins sans que les femmes se voilent de l’éventail, et on pérore sur le règne de la raison, sur la révolution prochaine. Un seul convive, Cazotte, reste muet avec un air de tristesse à demi railleuse. C’est que de son regard d’illuminé il voit tous ces fronts dévoués à une mort violente. On l’interroge, et à chacun il dit son mot au milieu des rires d’incrédulité. « Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez sur le pavé d’un cachot après avoir pris du poison pour vous dérober au bourreau. — Vous, monsieur de Chamfort, vous vous ouvrirez les veines. » Tous y passent, Bailly, Malesherbes, Boucher, Vicq-d’Azir.—  « Mais les femmes! dit la duchesse de Gramont, nous sommes bien heureuses, nous autres, de n’être pour rien dans les révolutions. Ce n’est pas que nous ne nous en mêlions toujours un peu; mais il est reçu qu’on ne s’en prend pas à nous. — Vous y serez cette fois, reprend Cazotte, et vous serez traitées tout comme les hommes. » Puis, s’animant peu à peu, le prophète en vient à désigner des têtes plus hautes promises au bourreau. Ici tous les convives se lèvent, trouvant la plaisanterie lugubre. — C’est en petit, et sous le voile de la fiction, l’image de ce qui se passait en France à la veille de la catastrophe universelle, à ce moment d’oubli, d’obscurité et d’attente.

Voir dans notre chapitre "Le  prix de la liberté" ce qu'il en a été du sort de certaines femmes qui, faute d'être montées à la tribune, sont montées à l'échafaud. En fait, ce n'était pas une prédiction. Ce texte a été écrit après la Révolution :  c'est une mystification de La Harpe. Cazotte, l'auteur du Diable amoureux, n'était nullement devin.

Date de dernière mise à jour : 11/06/2025