Littérature

LivrePour les bibliovores…

Mémoires de Madame Roland

Le 10/08/2024

RolandMadame Roland écrit ses Mémoires en prison. La guillotine l’attend (Elle sera exécutée le 8 novembre 1793). Le temps lui manquera pour se relire, évoquer plus précisément des moments de vie qui lui tiennent à cœur.

Marie-Jeanne Phlipon épouse Jean-Marie Roland qui a vingt ans de plus qu’elle, le 4 février 1780. Révolutionnaires de la première heure, les Roland défendent les thèses de leur ami Brissot contre Robespierre, c’est ce qui causera leur perte. Madame Roland est l’égérie des Girondins. Laissons de côté les Notices historiques, les Portraits et anecdotes qui m’intéressent au premier chef, mais pour un ouvrage en cours.

Les Mémoires particuliers rédigés aux prisons de Sainte-Pélagie, le 9 août 1793 commencent ainsi : « Fille d’artiste, femme d’un savant devenu ministre et demeuré homme de bien, aujourd’hui prisonnière, destinée peut-être à une mort violente et inopinée, j’ai connu le bonheur et l’adversité, j’ai vu de près la gloire et subi l’injustice. »  Avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, beaucoup de personnes s’engageraient-elles aussi fermement dans une rétrospective de leur vie ? Mais « c’est vivre une seconde fois » et « qu’a-t-on de mieux à faire en prison que de transporter ailleurs son existence par une heureuse fiction ou par des souvenirs intéressants » ?

L'enfance de Madame Roland fut heureuse grâce à la vigilance de sa nourrice et l’affection de ses parents — au demeurant sévères ­— qui avaient perdu leurs six autres enfants. Manon – c’est ainsi qu’on l’appelait — savait lire dès l’âge de quatre ans. Son désir d’apprendre faisait la joie de ses maîtres. Elle avait dix-huit ans quand M. Marchand qui lui avait enseigné la géographie et l’histoire mourut à l’âge de 50 ans ; elle honorait particulièrement ce précepteur au point de lui avoir rendu visite dans ses derniers jours. Les portraits familiaux sont brossés à la fois avec franchise et bienveillance. L’évocation de ses lectures de jeunesse est édifiante ; c’est Plutarque qui a fait d’elle la républicaine qu’elle ne songeait pas à devenir alors !

 On parle à l’envi de lectures de vacances : elles sont calibrées et peuvent être vite effacées. Ce récit de vie ne mérite pas l’oubli et si par un improbable hasard, les néo-féministes lisaient les textes de Madame Roland, de salutaires réflexions leur viendraient sans doute à l’esprit. Je ne développerai pas davantage ce récit d’une vie qui valait d’être vécue et qui vaut d’être (re)découverte, autrement que par Wikipedia…

Je termine par des citations extraites d’une conversation que Manon avait eue avec son père à propos du mariage : « Je ne suis pas juge du bonheur d’autrui et je n’attache point le mien à l’opulence ; je ne conçois de félicité dans le mariage que par la plus intime union des cœurs ; je ne puis me lier qu’à qui me ressemble, et encore faut-il que mon mari vaille mieux que moi, car la nature et les lois lui donnant de la supériorité, j’en aurais honte s’il ne la méritait véritablement. » Et à propos du commerce vanté par M. Phlipon : « Tenez, papa, j’ai trop bien vu qu’on ne réussissait dans le commerce qu’en vendant cher ce qu’on avait acheté grand marché, qu’en mentant beaucoup et rançonnant le pauvre ouvrier ; je ne saurai jamais me prêter à rien de semblable, ni respecter celui qui s’en occupe du matin au soir : or je veux être une honnête femme et comment serais-je fidèle à l’homme dont je ne tiendrais nul compte, en admettant que j’eusse pu l’épouser ? »

Autres temps, autres mœurs, vraiment ?

(Le Temps retrouvé, Mercure de France, 1966 et 1986, édition présentée et annotée par Paul de Roux)

à Paris, le 10 août 2024, S. G.-A.

La femme de ménage, par Freida Mac Fadden

Le 02/07/2024


Femme de menageJe viens d’achever la traduction française du thriller psychologique "La femme de ménage", écrit par l’auteur américaine Freida Mac Fadden. Dès les premières pages, j’ai été captivée par la finesse des points de vue féminins et cette sororité qui se crée contre la maltraitance faite aux femmes. La narration, toute en nuances, maintient le lecteur en haleine et le projette de rebondissement en rebondissement, un véritable tour de force littéraire.

L’un des grands intérêts de ce roman réside dans la profondeur de l’analyse psychologique de Millie, le personnage principal de l’histoire, celui qui incarne la femme de ménage. À travers elle, l’auteur explore les méandres de l’esprit humain avec une acuité remarquable. Millie est un protagoniste complexe, dont les pensées et les émotions sont dépeintes avec une justesse et une sensibilité exceptionnelles. Sa lutte intérieure, ses peurs et ses espoirs constituent une peinture si authentique que le lecteur ne peut s’empêcher de s’identifier à elle et de ressentir intensément ses dilemmes, ses contradictions et ses interrogations…

Les personnages féminins, entiers et authentiques, se démarquent par leur profondeur et leur complexité. Ils incarnent diverses facettes de la condition féminine et invitent le lecteur à une analyse approfondie des relations humaines. À travers leurs yeux, nous découvrons des réalités parfois douloureuses, souvent poignantes, mais toujours criantes de vérité.

L'intrigue, magistralement construite, explore les thématiques de la violence et de l'injustice avec une sensibilité et une acuité remarquables. Elle nous rappelle l'importance de l’écoute et de la vigilance à l’égard de la gent féminine parfois malmenée. Chaque page nous interpelle, nous incite à réfléchir et à nous engager.

Merci pour ce roman qui, au-delà de son suspense haletant, invite chacun et chacune de nous à une prise de conscience et à une solidarité active envers les femmes victimes de violences. "La femme de ménage" est bien plus qu'un thriller ; c'est un appel à la compassion, à la réflexion, voire à l’action…

La Voyageuse de nuit, Françoise Chandernagor, 2008

Le 16/05/2024

V chandernagorFrançoise Chandernagor, dans son roman La Voyageuse de nuit, publié en 2008, compose une œuvre captivante qui allie profondeur psychologique et réflexion poignante sur la vieillesse et la fin de vie.

L'auteur plonge ses lecteurs dans l'intimité familiale d'une vieille dame, autrefois, femme au foyer dynamique qui a consacré sa vie à éduquer ses quatre filles. Chandernagor dépeint avec une sensibilité rare les pensées et émotions de cette mère et de ses filles. La figure maternelle, soutenue par ses enfants, se bat pour conserver sa dignité et son identité, dans un monde où les personnes malades et âgées sont parfois reléguées au second plan.

Ce qui rend la lecture de La Voyageuse de nuit particulièrement palpitante, c'est l'écriture élégante et raffinée de Chandernagor. Chaque phrase ciselée avec soin, chaque mot choisi avec précision témoignent dune maîtrise littéraire qui rend avec brio l'atmosphère familiale et la qualité des liens humains. Les descriptions, d'une esthétique mélancolique, capturent à la fois la fragilité et la résilience de la mère et de ses quatre filles, toutes héroïnes de l'oeuvre.

Le roman se distingue également par l'importance qu'il accorde à la sororité et la figure maternelle. Chandernagor explore avec profondeur les énergies familiales, les souvenirs partagés et l'amour maternel qui unit ces femmes malgré les épreuves. L'amour inconditionnel et la solidarité entre ces cinq femmes constituent le cœur battant du récit et apportent une dimension émotionnelle profonde, à valeur universelle.

Chandernagor tisse habilement des références culturelles, historiques et régionales ce qui ajoute des couleurs supplémentaires à chaque personnage. Cette érudition, loin d'alourdir le récit, l'éclaire et l'enrichit.

La Voyageuse de nuit est un hommage touchant à la femme, à la malade qui lutte, à la vieillesse, à la condition humaine et à la puissance des liens familiaux. Jamais, Chandernagor ne sombre ni dans le pathos ni dans la complaisance. Elle aborde avec lucidité et humanité les défis de la maladie et du vieillissement, mais elle célèbre surtout la force intérieure et la dignité de ses personnages.

La Voyageuse de nuit, œuvre remarquable, souligne encore une fois, le talent exceptionnel de Françoise Chandernagor. Ce roman invite à la réflexion, à l'empathie, à la lucidité, à la conscience de la finitude humaine et reste longtemps inscrit dans la mémoire du lecteur.
Voilà une belle et agréable lecture, indispensable à quiconque s'intéresse aux questions de la vie, de la mort, de la maladie, de l'amour maternel et de la solidarité familiale...